Inflation salariale : maintien de notre scénario

Depuis le début d’année, le marché se focalise sur la question de l’inflation salariale et, sur ce point, notre analyse est constante depuis plusieurs trimestres. Cet élément est central alors que le chiffre de l’inflation aux Etats-Unis ressort à 6,2 %, pour le mois d’octobre, au plus haut depuis 30 ans. En dépit de perturbations liées à la réouverture des économies (difficultés de remise en marche d’usines ou de ports, goulets d’étranglement, prix des intrants, etc.), nous avons en effet toujours considéré que l’inflation observée depuis plusieurs mois serait transitoire et qu’elle ne pénaliserait pas les marges des entreprises, et cela pour deux raisons essentielles :

– Tout d’abord parce que mis à part le prix du pétrole, dont la hausse est corrélée à un contrôle de l’offre par les pays de l’OPEP+, les tensions sur les prix des matières premières sont dorénavant en phase de recul. De plus, la problématique de la transmission de cette hausse des prix aux salaires s’éloigne également, malgré quelques négociations salariales médiatiques ou des tensions dans certains secteurs de service lors des réouvertures. Au-delà du développement du travail à distance qui exerce une pression négative sur les salaires (professions d’encadrement essentiellement), notre analyse s’appuie plus largement sur le fait que les entreprises augmentent leur productivité en jouant également sur la variable des conditions de travail et pas uniquement sur les salaires. Aussi, nous n’anticipons pas de spirale inflationniste alimentée par la hausse des salaires. Il n’y a donc pas lieu de craindre le choc brutal d’une forte remontée des taux d’intérêt nominaux, ni des taux d’intérêt réels1 qui dégraderaient les marges des entreprises : le potentiel et l’attrait des actifs risqués reste donc entier sur ce point.

– D’autres facteurs, structurels cette fois, limitent également la progression possible des taux d’intérêt : le surplus d’épargne par rapport aux demandes d’investissement – qui découle notamment du vieillissement de la population – engendre une croissance plus modeste qui entretient cette faible demande d’investissement. De plus, les banques centrales sont contraintes de travailler en articulation avec les administrations de leur pays pour ancrer les taux réels en territoire nettement négatif, afin de limiter la charge de la dette des Etats.

Nous traversons actuellement un pic d’inflation qui sera donc amené à rebaisser au fil des mois, avec la possibilité d’ici le second semestre 2022 de revenir, en zone Euro, à une inflation divisée par deux, donc autour de 2 %. Aux Etats-Unis, il faut garder en mémoire que la hausse des salaires est réelle au niveau individuel, mais que la structure du marché de l’emploi a été grandement modifiée : forte baisse de la participation sur le marché du travail, et surtout des salariés les plus âgés qui étaient les mieux rémunérés.

Si le sujet de l’inflation salariale ne constitue pas, selon nous, un véritable motif d’inquiétude à court terme, il peut être toutefois vu comme « l’arbre qui cache la forêt » : le coût de la transition énergétique constitue le vrai risque de renchérissement du coût de la vie à moyen terme – et non sur l’année à venir – avec les questions fondamentales qui en découlent en termes de prise en charge et de répartition entre les différents agents économiques.

Stagflation² : pas de scénario d’un remake des années 70

La question de la stagflation, négative pour les marchés actions, a ressurgi ces dernières semaines. Elle ne nous semble pourtant pas d’actualité. Si toute crise est bien évidemment destructrice de croissance potentielle à terme, cette question ne nous semble pas à l’ordre du jour pour 2022. Du fait de la vaccination plus tardive dans beaucoup de pays d’Asie du Sud-Est, l’activité économique au sein de plusieurs pays émergents connaîtra un rattrapage en 2022. D’autant plus que du côté des politiques monétaires, au niveau international, la normalisation sera très progressive, alors que du côté budgétaire, plusieurs mesures de soutien n’ont pas encore été mises en place et devraient également constituer un relais de croissance sur plusieurs zones géographiques. En tenant compte de ces différents éléments, la croissance mondiale pour 2022 devrait donc être finalement au-dessus de sa croissance potentielle, de l’ordre de 4 %.

Des liquidités abondantes qui ont permis aux marchés d’encaisser des nouvelles plus mitigées

Au cours des derniers mois, le marché a encaissé plusieurs nouvelles négatives : chiffres inattendus sur le front de l’inflation, momentum défavorable sur les surprises macroéconomiques, incertitudes autour de la politique budgétaire américaine, etc. La crise de la promotion immobilière en Chine, venue rouvrir des dossiers de plus long terme (gestion de l’approvisionnement électrique ou régulation), a également constitué un sujet d’inquiétude au cours du mois dernier. Dans ce contexte, les résultats des sociétés ont constitué l’élément favorable de ces dernières semaines, démontrant leur capacité à être flexibles (renégociation des conditions de travail) et à augmenter ainsi leur productivité (pas de hausse des salaires). Dans ces conditions, l’absence d’alternative face à une courbe des taux administrée par les banques centrales, ainsi que des liquidités abondantes qui continuent à être investies sur les marchés, constituent les facteurs déterminants pour une poursuite de la hausse des actions.

Au cours des derniers jours, les marchés ont été chahutés par la découverte du variant Omicron, qui présente des mutations multiples combinées à un fort degré de contagiosité. Les investisseurs craignent avant tout l’annonce d’une inefficacité relative des vaccins qui contraindrait les gouvernements à renouer avec des mesures sanitaires drastiques. Leur première réaction a donc été de réduire leur exposition aux actifs risqués à la suite de la levée des positions de protection après l’été : en l’absence de positions acheteuses d’options de vente, les mouvements ont d’abord été accentués par des ventes agressives de hedge funds.

Il existe encore beaucoup d’inconnues sur ce nouveau variant et nous en saurons plus après les tests des laboratoires durant les prochaines semaines. Néanmoins, les économies ont acquis une certaine résilience face aux vagues successives de contaminations à la Covid-19 avec l’essor de la digitalisation et du télétravail notamment. Si la prudence s’impose à court terme, Omicron redonne du temps en permettant à J. Powell de ne pas céder à la pression des statistiques récentes et de ne pas se résoudre à un resserrement monétaire plus agressif. De fait, les investisseurs prévoient désormais deux hausses des taux directeurs par la Fed en 2022, contre trois précédemment. La détente des rendements obligataires et la dépréciation du dollar sont autant d’indicateurs évoquant une atténuation des craintes de surchauffe économique. Cela devrait constituer un soutien aux marchés actions à moyen terme où les creux actuels représentent selon nous des opportunités pour renforcer les allocations.

Les actions et la transition énergétique

Cette séquence de la COP 26 est l’occasion pour nous de revenir sur le thème du climat que nous avions déjà abordé précédemment au travers des gestions thématiques à privilégier, notamment autour de l’environnement. Plusieurs constats s’imposent à ce stade.

Tout d’abord, il faut noter l’avalanche d’informations non plus seulement autour du risque climatique, mais de catastrophes liées au climat. Et paradoxalement, c’est à l’occasion de ces publications précédant la COP 26 que les indices boursiers des principales places occidentales ont franchi des niveaux records. Certains investisseurs ont préféré réfuter cette déconnexion, estimant que les marchés ont toujours raison et que le coût du changement climatique est correctement intégré dans les prix. Ce n’est pas notre scénario. Dans le monde de la data, c’est l’absence de données fiables et d’un cadre d’interprétation homogène à tous les niveaux – de l’entreprise aux agences de notation – qui expliquent que le coût de la transition énergétique – qu’il soit direct ou indirect – n’est pas correctement appréhendé par les marchés. Il constitue donc mécaniquement un risque élevé d’inflation énergétique pour les prochaines années.

Une autre hypothèse sous-jacente des marchés nous semble également devoir être remise en question : celle de la possibilité pour les entreprises de répercuter, auprès d’une large frange de consommateurs, la hausse des coûts qu’elles supporteront. Dans un contexte de hausse des prix de l’énergie qui affecte déjà le pouvoir d’achat des particuliers, nous anticipons que les entreprises seront incapables de répercuter leurs hausses de coûts sur leurs prix de vente. Cela signifie donc, potentiellement, une moindre rentabilité pour beaucoup de secteurs. Dans ce contexte, l’élément structurel le plus important à surveiller sera la façon dont pourront être financés les investissements dans les infrastructures. Selon Mc Kinsey, cinq catégories de technologies sont à privilégier pour réduire de 40 % les gaz à effet de serre d’ici à 2050 : l’électrification, l’agriculture, les réseaux électriques, l’hydrogène et la capture du carbone.

L’agence internationale de l’énergie estime que 70 % des investissements susceptibles d’apporter des solutions climatiques doivent venir du secteur privé et ne peuvent seulement provenir des Etats, étant donné leur situation d’endettement.

Serait-ce un redéploiement de modèles inspirés des partenariats publics/privés ?

Lors des premiers jours de la COP26, quelques partenariats médiatiques – mais pour des montants toutefois symboliques – ont été annoncés, notamment au niveau même de l’Union Européenne. Selon nous, le financement dans le domaine des technologies climatiques constituera de plus en plus la ligne de partage entre les secteurs gagnants et perdants. Les solutions autour de l’électricité décarbonée, avec en aval les questions relatives à la distribution (réseaux intelligents et stockage), démontrent déjà que toutes les activités des entreprises – et pas seulement les « voies vertes » de la production d’électricité – seront impactées par les objectifs ambitieux annoncés, sans possibilité de faire marche arrière. Etant donné les montants à venir qui seront investis et la complexité des solutions qui impliqueront de nombreux acteurs, les marchés sont aujourd’hui au plus haut, portés par des secteurs gagnants tels que la technologie, l’hydrogène ou l’équipement électrique. Ce sont ces mêmes secteurs qui ont conduit l’indice parisien à enfin repasser au-dessus de son vieux record de 2000.

1Taux d’intérêt réel : taux d’intérêt nominal qui tient compte de l’inflation, c’est-à-dire de l’augmentation des prix. Pour le calculer on déduit le taux d’inflation du taux nominal.

2 La stagflation est la situation d’une économie qui souffre simultanément d’une croissance économique faible ou nulle et d’une forte inflation.

Achevé de rédiger le 30 novembre 2021 par Jean-Jacques Friedman – Directeur des investissements de VEGA Investment Managers, filiale de Natixis Wealth Management, qui conçoit des solutions financières sur mesure grâce à ses trois métiers fondamentaux : la Gestion Collective, la Gestion Sous Mandat et la Sélection de fonds en architecture ouverte.

By Action Future

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