Par Christophe Morel, chef économiste – Groupama Asset Management

Le terme d’entreprise « zombie » est apparu dans les années 80 lors de la crise immobilière et financière du Japon : des compagnies pu se maintenir en activité grâce à l’octroi par des banques elles-mêmes en difficulté, de prêts à des taux d’intérêt trop faibles.

Aujourd’hui, les politiques monétaires post-Grande Récession contribuent sensiblement à la zombification des entreprises.

Selon sa définition usuelle, une entreprise « zombie » est une société d’au moins 10 ans d’âge, dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir les charges d’intérêt pendant au moins 3 années consécutives. Pourquoi convoquer ce concept, aujourd’hui ? L’évolution de la santé des sociétés au cours des dernières décennies impose tout simplement les constats suivants : dans les pays développés, la proportion des entreprises insuffisamment profitables a augmenté de 2% à la fin des années 80, à 16% aujourd’hui, selon la mesure pondérée par les PIB. Cette « zombification » accrue concerne davantage les grandes entreprises, les plus anciennes et celles opérant dans des pays anglo-saxons.

Un symptôme souligne particulièrement la zombification de l’économie : le processus schumpetérien de « destruction créatrice » est dévoyé. La Grande Récession de 2008 a été violente par la baisse des marchés actions et l’ampleur de l’ajustement cyclique. Pour autant, le nombre de faillites n’a pas été exceptionnel au regard de l’« exceptionnalité » de la crise. Le processus de destruction créatrice a donc peu opéré. La tendance baissière du taux de destructions d’entreprises se poursuit d’ailleurs aux États-Unis. La tolérance collective nulle à la perte et aux restructurations a favorisé l’endettement des entreprises.

Déstructuration du « prix » du risque

 

Le débat reste vif sur les conséquences des politiques monétaires ultra-accommodantes des banques centrales, entre d’une part, les effets à court terme positifs sur la conjoncture et d’autre part, les impacts négatifs à long terme sur l’allocation du capital et la productivité. En ce qui concerne la santé des entreprises, il faut bien admettre que ces mesures ont contribué à la baisse de la discrimination financière et in fine au fameux processus de zombification. De façon globale, la forte disponibilité du crédit assurée par les banques centrales provoque des booms financiers, avec une reflation des actifs et une hausse de la prise de risque.

Dans le cas des politiques monétaires non conventionnelles, les banques centrales acquièrent des dettes d’entreprises de façon « passive », avec une moindre discrimination : cela s’exprime au travers de modèles de valorisation des spreads de crédit, très en-deçà de leur valeur « d’équilibre ». Dit autrement, les fondamentaux (endettement, conjoncture) ne permettent pas de justifier les niveaux actuels de spreads, ce qui témoigne de l’influence des interventions des banques centrales sur le prix du risque.

En théorie, la baisse des taux d’intérêt devrait réduire le poids des entreprises zombie en comprimant les services de la dette, et ce faisant soutenir l’ICR*. Pour autant, nous observons le phénomène inverse, la zombification s’est amplifiée – et cela est vérifiable statistiquement – au fur et à mesure de la baisse des taux d’intérêt ces dernières années. La Banque des Règlements Internationaux a d’ailleurs démontré en 2018, que la baisse des taux contribuait fortement à la zombification de l’économie, pour un facteur d’un cinquième !

Les « zombies » tuent la création d’entreprises, l’innovation et la productivité

 

Quelles conséquences produit la zombification ? Celle-ci pèse sur la productivité et l’investissement    En 2017, l’OCDE estimait qu’une hausse de la part des entreprises zombie de 3% provoquait une baisse de la productivité du travail dans l’industrie de 1%. Dans la mesure où une entreprise zombie est moins productive que les autres, la hausse du nombre d’entreprises zombies contribue mécaniquement à la baisse de la productivité globale. De plus, en « accaparant » des ressources, la survie des entreprises zombies freine l’émergence de nouvelles sociétés plus productives : les faillites permettaient la régénération du bassin d’entreprises en laissant place à de nouvelles créations entrepreneuriales et à davantage d’innovation.

Le véritable enjeu du maintien en vie de telles entreprises est l’arbitrage entre le coût social à court terme et le gain de productivité, d’emplois à long terme. Évidemment, les politiques monétaires de la dernière décennie ont soutenu la conjoncture et évité un coût social sans doute très important. Andrew G.Haldane, Chef-économiste de la Banque d’Angleterre a démontré que, si la banque centrale britannique n’avait pas abaissé son taux directeur de 4,25% à 0,25% durant la crise, cela aurait provoqué 10% de faillites supplémentaires, un gain sur la productivité de 1 à 2% mais un coût d’environ 1,5 million d’emplois. Cependant, avec la baisse de l’efficacité des politiques monétaires dont la marge de manœuvre s’est réduite et des taux d’intérêt durablement bas, les effets positifs à court terme peuvent devenir marginaux tandis que les coûts à long terme, prennent davantage d’importance, impactant des secteurs clés pour l’économie.

En conclusion, par ce phénomène de zombification, la fragilité et l’endettement accrus des entreprises appelleront sans doute un réflexe d’amplification de l’ajustement conjoncturel, en cas de retournement de cycle à la baisse. Mais surtout, la zombification est un argument convaincant en faveur du recours à moins de politique monétaire et à davantage de mesures budgétaires, pour qu’enfin les politiques économiques puissent réanimer l’investissement productif et la productivité.

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*Interest Coverage Ratio : ratio de couverture des frais financiers par le résultat d’exploitation

By Action Future

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