Bastien Drut – Stratégiste Sénior chez CPR AM

Pour la première conférence de presse de Christine Lagarde en tant que présidente de la BCE, aucun changement de politique de monétaire n’a été annoncé. L’une des raisons pour cela est qu’un large paquet de mesures avait été annoncé en septembre avant le départ de Mario Draghi (retour du Quantitative Easing, baisse du taux de dépôt, mise en place du tiering, renforcement de la forward guidance).

En revanche, Christine Lagarde a donné les grandes lignes de la revue stratégique que la BCE réalisera tout au long de l’année 2020, dès le mois de janvier. Après la révolution des années Draghi, la BCE pourrait donc connaître de profonds changements sous Christine Lagarde, en particulier avec une prise en compte accrue des grandes tendances que connaît l’économie.

La dernière revue stratégique de la BCE a eu lieu en 2003, soit une époque où l’inflation était régulièrement proche de sa cible, où les liquidités excédentaires étaient proches de zéro, où il paraissait inconcevable que les taux d’intérêt puissent être négatifs, où la démographie permettait encore de parvenir à des taux de croissance solides. La digitalisation de l’économie était bien moins avancée et l’on parlait encore très peu des inégalités et du changement climatique.

C’est peu de dire que le monde a changé depuis, et Christine Lagarde a raison de dire que procéder à une nouvelle revue stratégique est « attendu depuis longtemps »..
Au cours de la conférence de presse, Christine Lagarde a fourni quelques éléments sur la revue stratégique de 2020 :

  • La BCE passera en revue les outils de politique monétaire et évaluera leur efficacité. De nouveaux outils seront passés en revue. C’est la partie la plus convenue de la revue stratégique. En conférence de presse, Lagarde a expliqué qu’elle considérait que les différents outils utilisés actuellement (QE, taux négatifs, forward guidance) formaient un tout et que les taux négatifs semblaient « bien fonctionner » : pour elle, le reversal rate ne sera atteint que lorsqu’on observera un effet négatif sur la distribution de crédit au secteur privé.

 

  • La revue stratégique constituera un exercice d’ouverture inédit pour la BCE. Lagarde a annoncé que lors de celle-ci, les membres de la BCE discuteront avec des membres du Parlement européen, des membres de la communauté académique et des représentants de la société civile. Lagarde a insisté sur le fait que la BCE n’aura pas pour but de « professer le gospel qu’elle pense maîtriser » mais écoutera ces entités et ces personnes, ce qui évoque forcément les opérations The Fed Listens que la Fed a organisées en 2019 (qui comprenaient notamment une série de réunions publiques). Comme l’a suggéré Jerome Powell à plusieurs reprises lors de sa conférence de presse.

 

  • La revue stratégique se penchera sur les grandes tendances de l’économie. Lagarde a expliqué que cette revue abordera « les principaux changements ayant eu lieu sur les 16 dernières années » : les changements technologiques massifs, le changement climatique et les inégalités. Même s’il faudra bien sûr un peu de temps pour voir le tour que prennent les choses, une page semble déjà se tourner vis-à-vis de l’ère Draghi. Certes, la BCE a commencé à aborder ces sujets ces dernières années mais elle accuse un certain retard. Par exemple, la BCE a attendu 2018 pour commencer à communiquer sur le changement climatique. La BCE n’a pas non plus beaucoup communiqué sur le sujet des inégalités sous Mario Draghi. Cela devrait très certainement changer. Le nouvel économiste en chef Philip Lane a expliqué il y a quelques jours que les inégalités jouaient négativement sur les taux d’intérêt réel¹. Enfin, le fait que la BCE se penche sur le sujet de la digitalisation est lui aussi assez récent (cf la conférence « Challenge in the digital age » en juillet) et on peut là aussi s’attendre à ce qu’elle aille beaucoup plus loin.

Par ailleurs, on peut également s’attendre à davantage de collaboration avec les autorités européennes. Si Christine Lagarde a insisté sur l’importance de l’indépendance de la BCE, elle affiche clairement qu’il est nécessaire que les différentes institutions européennes travaillent ensemble : « It takes many to dance the economic ballet that delivers price stability and economic growth. I don’t see anything wrong with policymakers actually agreeing that they’re going to make the efforts that they can in order to reach their respective goals. » L’un des sujets sur lesquels la collaboration pourrait s’intensifier en priorité est celui de la lutte contre le changement climatique.

Au final, à peine arrivée, Christine Lagarde donne l’impression qu’elle veut déjà tout changer à la BCE alors même que cette dernière vient de connaître des transformations radicales lors des années Draghi. Ainsi, l’institution va continuer à évoluer, essentiellement sur le plan institutionnel et peut-être moins sur le plan de la politique monétaire en tant que telle, et devrait s’impliquer davantage sur les grandes mutations de l’économie. Christine Lagarde indiquait lors de sa conférence de presse « I will have my own style » et force est de constater que son style de communication est déjà très différent de celui de Draghi.  

¹ « Determinants of the real interest rate », 28 novembre 2019.

Article en anglais (sur stocks-future.com)

By Action Future

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